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2012-03-23

 

Vale a pena ler

L'Europe doit cesser d'être l'idiot du village

RICHARD WERLY ET CATHERINE DUBOULOZ

jeudi 22 mars 2012, 13:49

POUR HUBERT VÉDRINE, l'ex-ministre français des Affaires étrangères, le monde entier est souverainiste, sauf nous. Il faut poser la question des protections intelligentes de nos marchés.

ENTRETIEN

Hubert Védrine

Hubert Védrine, 64 ans, est ancien conseiller diplomatique de François Mitterrand et ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin (1997-2002). Membre du parti socialiste français, il revendique sa liberté de parole. Il a ainsi salué la position de Nicolas Sarkozy et de son ministre Alain Juppé en Libye et en Côte d'Ivoire. Samedi dernier, à Paris, il était au premier rang du rassemblement européen autour de François Hollande.

PARIS

Son réalisme revendiqué lui vaut régulièrement des critiques à gauche. Proche collaborateur de François Mitterrand (1981-1995), ministre des Affaires étrangères lors de la cohabitation dans le gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002), Hubert Védrine est, dans le camp socialiste français, l'homme des diagnostics qui font mal sur les risques d'un déclin européen ou sur la concurrence tous azimuts auxquels les Occidentaux vont devoir faire face de la part des grands pays émergents, sujet de son dernier livre Dans la mêlée mondiale (Ed. Fayard).

Contacté au début de son mandat par Nicolas Sarkozy, qui lui confia une mission sur la France dans la mondialisation, il est aussi, au moment où la bataille présidentielle française s'intensifie sur l'Europe, un observateur écouté au-delà de son camp politique. Entretien, alors que la demande de François Hollande de renégocier le récent « pacte budgétaire » signé par 25 pays de l'UE sur 27, fait craindre des convulsions communautaires si celui-ci est élu.

Votre candidat, François Hollande, ne risque-t-il pas de provoquer une levée de boucliers, voire une crise institutionnelle au sein de l'Union en s'opposant au pacte budgétaire récemment signé et en cours de ratification ?

Ce que propose François Hollande est tout à fait raisonnable. Le danger aujourd'hui, pour les pays de l'Union européenne, ne vient pas de sa demande, mais de la purge économique excessive entreprise au nom de la rigueur et de l'assainissement budgétaire. Il faut remettre les comptes publics en ordre. On ne peut pas l'empêcher. Je ne suis pas choqué que les Allemands se disent solidaires jusqu'à un certain point et ne veulent pas être la vache à lait du système… Mais il faut effectuer cette correction d'une façon intelligente et politiquement supportable, pas via des mécanismes irréalistes, trop aveugles et trop brutaux. Tout le monde redoute, à travers l'Europe, de tuer ce qui reste de potentiel de croissance. Le ministre allemand des Finances le dit. Mario Monti, le président du Conseil italien, le dit. Il y a une disponibilité. Or que veut François Hollande ? Remettre la croissance au cœur du débat européen. Identifier les dépenses publiques « utiles ». Ce type de renégociation est possible.

Comment ? Le « pacte budgétaire » a été signé à Bruxelles le 2 mars par vingt-cinq pays, dont la France

Soit on renégocie, soit on complète. Si on peut le renégocier sur certains points, tant mieux. Sinon, complétons-le par un engagement en faveur de la croissance. C'est possible et c'est plausible. Il y a plein d'exemples historiques de traités qu'il a fallu adapter. Le débat qui s'ouvrira, si François Hollande est élu, sera une formidable opportunité pour réorienter les priorités de l'UE. Méfions-nous, par exemple, de la relance par la consommation. Ce qu'il faut, c'est préparer la croissance de demain et d'après-demain, vers « l'écologisation » de nos économies, comme nous parlions hier d'industrialisation. Il faut dépasser le stade d'une croissance prédatrice. Ecologiser les transports, l'habitat, l'urbanisation… Autant de gisements extraordinaires. Que répondent à cela les dirigeants conservateurs aujourd'hui ? Ils se serrent les coudes et refusent, paraît-il, de recevoir le candidat socialiste français. Mais ils s'arrangeront après. Cette renégociation n'occasionnera pas de crise majeure. C'est un faux problème. Les Allemands réagiront comme ils le font souvent : ils diront non, non, non… puis oui car ils savent que leur purge imposée à l'Europe fera plonger leurs exportations.

Autre débat : celui du protectionnisme, de la réciprocité dans les échanges commerciaux. L'Union européenne doit-elle repenser sa politique ?

L'Europe est depuis trop longtemps l'idiot du village global. Le brave type du système mondialisé. Or cela doit cesser. La mêlée mondiale actuelle n'illustre pas le règne du droit international. C'est une foire d'empoigne pour les marchés, une compétition de tous les instants. Et les Occidentaux qui croyaient encore diriger le monde, comme George W. Bush l'a cru à tort avec sa guerre contre la terreur, redécouvrent aujourd'hui cette réalité d'une grande complexité. Ouvrons les yeux : beaucoup de pays hier aidés sont devenus des dragons et d'énormes concurrents. Le monde entier est souverainiste, sauf les Européens de l'Ouest. Je trouve par conséquent logique de poser la question de la réciprocité et de protections « intelligentes » de nos marchés. Oui à des écluses sociales et environnementales. Non à des barrières et encore moins à des murs. Il faut rétablir plus d'équilibre entre les pays occidentaux et les grands pays émergents. Des tensions seront inévitables. Et alors ? Il ne faut pas en avoir peur.

Cette exigence de réciprocité n'en est pas moins délicate à manier…

Et le risque politique, si on ne s'attaque pas à ce sujet, est encore plus grand. Les peuples occidentaux, européens en particulier, sont de moins en moins à l'aise avec la mondialisation. Beaucoup ont le sentiment d'être perdants et reprochent à leurs gouvernements de ne plus rien contrôler. Ils deviennent donc des cibles faciles à exciter. Je me souviens de ma mission sur la France dans la mondialisation en 2007. Le Financial Times a publié à cette époque une enquête. La mondialisation n'était plébiscitée dans aucun pays occidental. Elle était alors perçue bien plus comme une source d'inconvénients que d'avantages. Il faut réintroduire des règles si l'on veut redonner confiance aux Occidentaux. C'est une question de bon sens. Les gouvernements doivent montrer que les individus ne sont pas laissés à l'abandon.

Ce qu'il faut, par contre, c'est oublier le rêve d'un Occident installé dans une sorte d'Olympe, qui pourrait encore dicter ses volontés et avoir le droit de s'ingérer. Ça ne marche plus comme ça. Il faut négocier dans tous les domaines. La montée des grands émergents relativise notre puissance. Les milieux économiques, qui ont tant poussé pour la libéralisation, commencent à en prendre conscience, surtout chez les industriels. Il est ainsi urgent de débattre, de coopérer, de négocier sur les transferts de technologie. Ne cédons pas à la panique. Mais soyons réalistes.

Pourquoi critiquer, alors, les partisans de plus de fédéralisme au sein de l'UE, partisans d'une Europe plus forte ?

J'ai toujours trouvé ce débat sympathique et tragique. Oui, il faut un pôle européen dans le monde, car si l'Europe n'est pas une puissance, elle deviendra dépendante. Oui, il faut défendre le mode de vie européen. Mais le fédéralisme à l'échelle de l'UE, au sens où l'on copierait le fédéralisme américain, ne peut pas marcher ! Bismarck a unifié derrière lui les Allemands. Cavour a fait de même avec les Italiens. Mais on ne peut pas dépasser les nations d'Europe. Jacques Delors a raison lorsqu'il parle de « fédération d'Etats-nations ». Ce qu'il faut, c'est combiner la persistance des grands Etats avec des mécanismes d'action collectifs efficaces. On ne peut pas y échapper. Je ne crois pas au fédéralisme idéaliste.

Nicolas Sarkozy affirme justement avoir défendu, au cours de son mandat, les intérêts de la France et de l'Europe. Que pensez-vous de ses attaques contre l'espace Schengen ?

Son bilan est contrasté. Il y a eu des moments forts, mais aussi des ratages spectaculaires comme celui de l'Union pour la Méditerranée. Sur l'Allemagne, il a trop cédé ces deux dernières années après avoir trop résisté les trois premières. Certes, lui et Angela Merkel ont trouvé au bout du compte un mode d'emploi commun. Et après ? Nicolas Sarkozy a réussi à régler des problèmes à la hussarde avec, à chaque fois, un prix à payer. Or les relations internationales ne consistent pas seulement à trouver des solutions ponctuelles. Il faut aussi gérer des interactions dans la durée. Quant à la révision de Schengen, elle est déjà en cours et c'est une bonne chose. Schengen était en train de devenir une passoire. L'idée d'en réviser le fonctionnement a progressé, sur la base d'une meilleure cogestion entre Bruxelles et les pays-membres. Le reste est une polémique politicienne.

Quels seront les premiers chantiers internationaux de François Hollande s'il est élu ?

D'abord l'Europe, avec ce « pacte budgétaire » à renégocier ou à compléter. Il y aura ensuite, chronologiquement, la question de l'Otan avec le sommet de Chicago des 20 et 21 mai. La question cadre, c'est « A quoi sert l'Otan ? ». Je pense notamment au projet américain de bouclier antimissile en Europe. Il ne peut être concevable qu'en complément de la dissuasion nucléaire française. Il y a des ambiguïtés à lever dans le discours américain. Deux interrogations se posent pour la France : la nécessité absolue de ne pas abandonner cette sécurité ultime qu'est la dissuasion, et celle des engrenages financiers ou politiques de ce projet de bouclier antimissile qui pourraient échapper aux pays membres de l'Otan. Sur l'Afghanistan, je suis favorable à un retrait sans attendre, dans des conditions qui assurent la sécurité pour les troupes de la coalition, en évitant le plus possible de créer des tensions. L'intervention occidentale dans ce pays est au bout de sa logique. Le temps de la colonisation est passé. L'idée de prendre en charge un pays comme l'Afghanistan et de le transformer est louable, mais elle a échoué. On ne peut pas gérer l'Afghanistan à la place des Afghans. On n'en est pas capable. La différence, c'est que la population, dans sa majorité, rejette maintenant les talibans. Il faut imaginer une politique occidentale d'assistance à ce pays,

au-delà de l'intervention militaire.

D'autres crises sont en cours et menacent. Que peuvent faire les Européens en Syrie, en Iran ?

L'irréalisme conduit trop souvent à des désillusions. La Syrie n'a rien à voir avec la Libye. On ne peut pas passer outre le soutien de la Russie et de la Chine. Ou alors, il ne faudra pas se plaindre lorsque ces deux pays mèneront des expéditions unilatérales… La Russie, au contraire, pourrait prendre la tête d'une coalition incluant des pays arabes et la Turquie. Sur l'Iran, la partie de poker menteur continue. On ne peut pas écarter une intervention militaire israélienne. Les Etats-Unis, en tout cas, prennent ce scénario très au sérieux. Il est malheureusement très difficile à ce stade d'avoir autre chose que des considérations amères. La Communauté internationale a échoué à convaincre les Iraniens de stopper leur programme nucléaire militaire. Celui-ci, s'il aboutit, marquera-t-il un changement radical dans la dissuasion ? Certains experts prétendent que non et disent que celle-ci jouera toujours, vu l'arsenal nucléaire israélien. Sauf que personne n'a envie de devoir vérifier cette thèse.


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